2012-01-28
Algerie Maroc: Le droit de savoir
La normalisation des relations entre l'Algérie et le Maroc est tributaire du courage de se dire toutes les vérités, y compris celles tues pour des raisons d'Etat : c'est le prix pour ce Maghreb fantasmé, uni, durable et fraternel.
La question de la «normalisation» des relations entre l'Algérie et le Maroc est revenue à la «une» de l'actualité avec la visite du ministre des Affaires étrangères marocain à Alger et, comme à l'habitude, a été habillée par un discours politique cauteleux, mielleux, tartuffard, qu'une bonne partie des médias nationaux des deux pays reprennent parfois en l'amplifiant, alors que quelques jours auparavant, des déclarations officielles et officieuses incendiaires, agressives, voire haineuses des officiels, reprises par ces mêmes médias, fusaient des deux côtés de la frontière. C'en est ainsi depuis plus de 30 ans et même avant la crise du Sahara de 1975 (la «guerre des sables» de 1963, par exemple).
Alors, en quoi la dernière visite du ministre marocain à Alger peut-elle «réchauffer» la coopération entre les deux pays, sachant pertinemment que les divergences sont si tranchées qu'il est presque illusoire d'espérer retrouver, du moins dans les court et moyen termes, cette «fraternité» si voulue et rêvée par les peuples des deux pays ? Ne tournons pas autour du pot et examinons le pourquoi de cette crispation des relations entre les deux pays.
Paradoxalement, la question de l'avenir du Sahara Occidental, prétextée comme principal obstacle à une coopération tous azimuts entre les deux pays, ne peut nullement justifier toute l'envergure de la crise. D'abord parce qu'elle est prise en charge par la diplomatie internationale, notamment par l'Onu, et que des résolutions, tant de l'AG que du Conseil de sécurité, accompagnent la négociation entre les deux parties concernées que sont le Polisario et le Maroc. L'Algérie comme la Mauritanie sont, de par leur proximité du conflit, admises comme simples membres observateurs. A titre de comparaison, même l'Europe vit ce genre de «conflit» avec les différends frontaliers entre Chypre et la Turquie ou la Grèce et la Macédoine, sans parler des Balkans, et cela n'empêche pas pour autant la construction européenne. Evidemment, l'Algérie s'en tient à la lettre aux principes contenus dans le droit international et qu'elle a, par ailleurs, appliqué pour décider de son propre avenir lors de sa lutte de libération conte la colonisation française : le référendum populaire du 3 juillet 1962. Cela, le Maroc le sait.
La réalité est que d'autres divergences, litiges et contentieux opposent les deux pays. C'est le sens qu'il faut donner à la revendication algérienne de proposer la «négociation du contentieux dans sa globalité», c'est-à-dire l'ensemble des différends qui empêchent une vraie et sincère coopération depuis que l'Algérie est indépendante. A commencer par celui du tracé des frontières. Faut-il rappeler que le Maroc est le seul pays frontalier de l'Algérie (sur les sept) qui conteste encore le tracé des frontières communes, malgré leur garantie par le droit international et les Accords d'Ifrane de 1969 et de Tlemcen de 1970 ? La «guerre des sables» de 1963 n'a pas suffi à calmer les ardeurs expansionnistes du voisin marocain. Et puis, l'autre problème dont il faut avoir le courage de parler, celui des citoyens expulsés des deux côtés de la frontière lors de la crise du Sahara Occidental en 1975. Pour le Palais royal, c'est l'Algérie qui a commencé les expulsions des Marocains d'Algérie en décembre 1975. Pourtant, c'est bien le pouvoir marocain de Hassan II qui inaugura cet épisode tragique pour les citoyens des deux pays. Oui, Hassan II avait lancé sa «marche verte» en novembre, soit un mois auparavant, pour occuper le Sahara Occidental et, dans la foulée, des milliers d'Algériens établis au Maroc ont été chassés au cours de ce même mois de novembre 1975 du Maroc. Le pouvoir algérien de l'époque a répliqué en chassant, à son tour, les Marocains établis en Algérie. Faut-il ergoter sur cette tragédie et qui a commencé ? L'honnêteté voudrait que l'on admette que ce fut une erreur historique commise par les deux pouvoirs d'alors et dont les victimes on été des civils des deux pays.
Le courage politique voudrait qu'aujourd'hui les deux pays regardent en face ce problème et en discutent sans haine ou esprit de vengeance afin que les dizaines de milliers de victimes algériennes et marocaines soient, à défaut de récupérer leurs biens, rétablies dans leur dignité, soit par la voie de la compensation, soit par leur reconnaissance symbolique en tant que victimes par les deux pouvoirs d'alors.
Et puis, il y a la question de la réouverture des frontières terrestres. Que faire ? Parce qu'elles ne peuvent être maintenues indéfiniment fermées, il est impératif de trouver une «sortie» qui satisfasse les deux pays en ces temps de construction de grands ensembles régionaux. Bien sûr, on connaît la genèse de ce chapitre : la réaction «pavlovienne» de Hassan II attribuant l'attentat terroriste de Marrakech d'août 1994 aux services secrets algériens et sa décision d'instaurer le visa pour les Algériens en visite au Maroc, enfreignant les Accord de Zéralda de juin 1988 et leur ratification à Marrakech en février 1989. L'Algérie avait alors décidé, en réponse, de fermer sa frontière terrestre pour cerner le trafic d'armes et de drogue qui alimentait les groupes terroristes, dont certains utilisaient le Maroc comme terre de repli. Là, faut bien que le Palais royal explique comment des terroristes activant en Algérie peuvent «se griller» en commettant des attentats sur leur base de repli. De quelque angle que l'on prenne les différends entre les deux pays, il nous revient à la face une véritable orchestration politique qui manipule et prend en otage les deux peuples, pourtant si proches. Il est significatif de constater le «mur» qui oppose, de part et d'autre de la frontière, la société civile, y compris les organisations de défense des droits de l'homme, d'intellectuels et d'hommes de culture, alors qu'elles sont censées être du côté de la justice, de la vérité, du droit et des libertés d'expression et d'opinion. Souvent, elles versent dans une attitude honteuse, aux antipodes de leurs missions : elles deviennent plus royalistes que le roi au premier désaccord sur un quelconque avis divergent, en particulier celui ayant trait à la question de l'avenir du Sahara Occidental.
C'est pourquoi, et en cette conjoncture de bouleversement politique dans le Maghreb et le monde arabe en général, il incombe à la société civile, aux organisations non gouvernementales, aux intellectuels, aux journalistes, aux élites des deux pays de s'impliquer et de mener le combat contre toutes les injustices et atteintes aux libertés, de dénoncer avec courage les attitudes conservatrices et éculées des gouvernants qui s'agrippent au statu quo et méprisent les aspirations des peuples à la dignité et à la liberté. Le Maghreb uni ne peut être un simple slogan politique. Pour être vrai, il doit être consubstantiel du cri du cœur des peuples qui en rêvent.
La normalisation des relations entre l'Algérie et le Maroc est tributaire du courage de se dire toutes les vérités, y compris celles tues pour des raisons d'Etat : c'est le prix pour ce Maghreb fantasmé, uni, durable et fraternel.
La question de la «normalisation» des relations entre l'Algérie et le Maroc est revenue à la «une» de l'actualité avec la visite du ministre des Affaires étrangères marocain à Alger et, comme à l'habitude, a été habillée par un discours politique cauteleux, mielleux, tartuffard, qu'une bonne partie des médias nationaux des deux pays reprennent parfois en l'amplifiant, alors que quelques jours auparavant, des déclarations officielles et officieuses incendiaires, agressives, voire haineuses des officiels, reprises par ces mêmes médias, fusaient des deux côtés de la frontière. C'en est ainsi depuis plus de 30 ans et même avant la crise du Sahara de 1975 (la «guerre des sables» de 1963, par exemple).
Alors, en quoi la dernière visite du ministre marocain à Alger peut-elle «réchauffer» la coopération entre les deux pays, sachant pertinemment que les divergences sont si tranchées qu'il est presque illusoire d'espérer retrouver, du moins dans les court et moyen termes, cette «fraternité» si voulue et rêvée par les peuples des deux pays ? Ne tournons pas autour du pot et examinons le pourquoi de cette crispation des relations entre les deux pays.
Paradoxalement, la question de l'avenir du Sahara Occidental, prétextée comme principal obstacle à une coopération tous azimuts entre les deux pays, ne peut nullement justifier toute l'envergure de la crise. D'abord parce qu'elle est prise en charge par la diplomatie internationale, notamment par l'Onu, et que des résolutions, tant de l'AG que du Conseil de sécurité, accompagnent la négociation entre les deux parties concernées que sont le Polisario et le Maroc. L'Algérie comme la Mauritanie sont, de par leur proximité du conflit, admises comme simples membres observateurs. A titre de comparaison, même l'Europe vit ce genre de «conflit» avec les différends frontaliers entre Chypre et la Turquie ou la Grèce et la Macédoine, sans parler des Balkans, et cela n'empêche pas pour autant la construction européenne. Evidemment, l'Algérie s'en tient à la lettre aux principes contenus dans le droit international et qu'elle a, par ailleurs, appliqué pour décider de son propre avenir lors de sa lutte de libération conte la colonisation française : le référendum populaire du 3 juillet 1962. Cela, le Maroc le sait.
La réalité est que d'autres divergences, litiges et contentieux opposent les deux pays. C'est le sens qu'il faut donner à la revendication algérienne de proposer la «négociation du contentieux dans sa globalité», c'est-à-dire l'ensemble des différends qui empêchent une vraie et sincère coopération depuis que l'Algérie est indépendante. A commencer par celui du tracé des frontières. Faut-il rappeler que le Maroc est le seul pays frontalier de l'Algérie (sur les sept) qui conteste encore le tracé des frontières communes, malgré leur garantie par le droit international et les Accords d'Ifrane de 1969 et de Tlemcen de 1970 ? La «guerre des sables» de 1963 n'a pas suffi à calmer les ardeurs expansionnistes du voisin marocain. Et puis, l'autre problème dont il faut avoir le courage de parler, celui des citoyens expulsés des deux côtés de la frontière lors de la crise du Sahara Occidental en 1975. Pour le Palais royal, c'est l'Algérie qui a commencé les expulsions des Marocains d'Algérie en décembre 1975. Pourtant, c'est bien le pouvoir marocain de Hassan II qui inaugura cet épisode tragique pour les citoyens des deux pays. Oui, Hassan II avait lancé sa «marche verte» en novembre, soit un mois auparavant, pour occuper le Sahara Occidental et, dans la foulée, des milliers d'Algériens établis au Maroc ont été chassés au cours de ce même mois de novembre 1975 du Maroc. Le pouvoir algérien de l'époque a répliqué en chassant, à son tour, les Marocains établis en Algérie. Faut-il ergoter sur cette tragédie et qui a commencé ? L'honnêteté voudrait que l'on admette que ce fut une erreur historique commise par les deux pouvoirs d'alors et dont les victimes on été des civils des deux pays.
Le courage politique voudrait qu'aujourd'hui les deux pays regardent en face ce problème et en discutent sans haine ou esprit de vengeance afin que les dizaines de milliers de victimes algériennes et marocaines soient, à défaut de récupérer leurs biens, rétablies dans leur dignité, soit par la voie de la compensation, soit par leur reconnaissance symbolique en tant que victimes par les deux pouvoirs d'alors.
Et puis, il y a la question de la réouverture des frontières terrestres. Que faire ? Parce qu'elles ne peuvent être maintenues indéfiniment fermées, il est impératif de trouver une «sortie» qui satisfasse les deux pays en ces temps de construction de grands ensembles régionaux. Bien sûr, on connaît la genèse de ce chapitre : la réaction «pavlovienne» de Hassan II attribuant l'attentat terroriste de Marrakech d'août 1994 aux services secrets algériens et sa décision d'instaurer le visa pour les Algériens en visite au Maroc, enfreignant les Accord de Zéralda de juin 1988 et leur ratification à Marrakech en février 1989. L'Algérie avait alors décidé, en réponse, de fermer sa frontière terrestre pour cerner le trafic d'armes et de drogue qui alimentait les groupes terroristes, dont certains utilisaient le Maroc comme terre de repli. Là, faut bien que le Palais royal explique comment des terroristes activant en Algérie peuvent «se griller» en commettant des attentats sur leur base de repli. De quelque angle que l'on prenne les différends entre les deux pays, il nous revient à la face une véritable orchestration politique qui manipule et prend en otage les deux peuples, pourtant si proches. Il est significatif de constater le «mur» qui oppose, de part et d'autre de la frontière, la société civile, y compris les organisations de défense des droits de l'homme, d'intellectuels et d'hommes de culture, alors qu'elles sont censées être du côté de la justice, de la vérité, du droit et des libertés d'expression et d'opinion. Souvent, elles versent dans une attitude honteuse, aux antipodes de leurs missions : elles deviennent plus royalistes que le roi au premier désaccord sur un quelconque avis divergent, en particulier celui ayant trait à la question de l'avenir du Sahara Occidental.
C'est pourquoi, et en cette conjoncture de bouleversement politique dans le Maghreb et le monde arabe en général, il incombe à la société civile, aux organisations non gouvernementales, aux intellectuels, aux journalistes, aux élites des deux pays de s'impliquer et de mener le combat contre toutes les injustices et atteintes aux libertés, de dénoncer avec courage les attitudes conservatrices et éculées des gouvernants qui s'agrippent au statu quo et méprisent les aspirations des peuples à la dignité et à la liberté. Le Maghreb uni ne peut être un simple slogan politique. Pour être vrai, il doit être consubstantiel du cri du cœur des peuples qui en rêvent.
M'hammedi Bouzina Med Le Quotidien d'Oran